Article du journal « Le Monde » paru le décembre 2022.

Le CAROUX, une montagne de lumière.

Ce massif des Cévennes est un spectacle grandiose de falaises, de maquis et de vasques d’eau vive. Un paradis minéral et secret à découvrir en marchant.

« Le Caroux est un personnage, une sorte de mastodonte qui dirige un peu la vallée en nous surveillant, nous protégeant. C’est une grande force. » confie la peintre Els Knockaert. À l’image de bien d’autres ici, cette Belge est tombée amoureuse du lieu et n’en est jamais repartie. Son atelier est situé dans l’une des ruelles médiévales d’Olargues (Hérault). C’est là qu’un matin, le vigneron Lucien Lauze est venu timidement lui demander de peindre sa vigne avec, à l’arrière-plan, la montagne, sa muse, celle qu’il aimait regarder tous les jours. Lucien lauze est parti laissant sa silhouette charpentée, ses mains puissantes et usées sur les toiles expressionnistes aux couleurs flamboyantes de l’artiste.

« En automne, la lumière est unique, les vignes sont rouge vif et le soleil persiste malgré la pluie ou la brume. » précise-t-elle. Selon le jeu de lumière, les aiguilles du Caroux scintillent. On les discerne de loin. Une féerie qu’elles doivent à leur roche métamorphique – un ancien granite devenu gneiss, composé de cristaux de quartz et de feuillets de mica. Éclat qui n’a pas échappé aux marins grecs. Il y a plus de 2500 ans, Le Caroux était pour eux un amer. Ils savaient qu’en naviguant tout droit vers celle que l’on appelle désormais « la montagne de lumière », ils accosteraient à Agde.

 

La légende de Cebenna.

C’est de cette amer que serait née la légende de Cebenna, probablement à l’origine du mot Cévennes, le Caroux étant un contrefort méridional du massif. Fille d’un Titan, Cebenna avait été condamnée par Zeus à ne jamais connaître l’amour. Désespérée, elle serait venue mourir au sommet de la montagne où la nature lui aurait confectionné un écrin de pierres. Depuis la tour du château de Vieussan, datant du 12e siècle, on aperçoit soudain la chevelure et le visage de la femme allongée. Tout autour, un paysage de vignes (AOC Saint-Chinian) où se dessinent les méandres de l’Orb.

« Quand on est loin, on ne voit que lui ! Que l’on vienne de Saint-Pons ou du plateau entre Bédarieux et Clermont-l’Hérault ou encore de Béziers, le Caroux devient un amer pour les Terriens ! s’amuse Jean-Claude Branville qui s’est installé dans la région dans les années 1990. Une montagne à la limite des Cévennes et à une heure de la mer. »

Une montagne de pierres, rugueuses comme son nom l’indique -Caroux signifiant « pierreux » en occitan – limitée au nord par la vallée du Douch, à l’Est par les gorges de Colombières, au Sud par la vallée de l’Orb, et à l’Ouest par les gorges d’Héric. » Vers les gorges, on trouve du granite, et sur le versant opposé de la vallée, du calcaire. On passe du dur au tendre, résume l’ancien ingénieur passionné d’histoire. Le Caroux est sur la voie de passage entre Nîmes et Toulouse depuis l’époque romaine. Lorsque les légionnaires partaient à la retraite, ils recevaient un lopin de terre cultivable, une mance. La plupart de nos hameaux remontent à cette époque. Julien Delaumone, chargé du développement touristique du secteur, nous conduit dans les gorges de Colombières. C’est dans ces marmites d’eaux vives et glacées qu’il venait se baigner enfant. Des vasques discrètes, moins fréquentées que celles des gorges d’Héric, qui sont en été le coin sacrifié du Caroux, déplore le guide d’escalade David Foissier.

On suit l’ancien chemin muletier caladé, entre Colombières sur Orb, village natal de l’écrivain Jean-Claude Carrière, et le hameau de la Fage. Le voyage débute dans une châtaigneraie très dense où l’ombre et le vert profond dominent. Julien Delaumone nous montre ce qu’il reste des cultures en terrasses et d’un sécadou, l’habitation où l’on fabriquait autrefois le charbon de bois et où l’on faisait sécher les châtaignes. A quelques pas de là, il y a aussi l’abri troglodyte où il venait, adolescent, passer la nuit avec des copains. C’est en progressant sur des dalles et des rochers couverts de mousses et de lichens qu’il évoque son Caroux, une montagne intime complexe, avec des vires, des pentes très raides, des falaises, des aiguilles, des forêts de maquis, de chênes verts et de hêtres. C’est un morceau de Corse sur le continent. En 1956, dix-neuf mouflons ont été introduits. Aujourd’hui, on en compte plus de deux mille, la plus grande population de France.

L’odeur entêtante du genêt

Ce milieu protégé, au cœur du parc naturel régional du Haut-Languedoc, doit sa variété de paysages, essentiellement à son exposition et à son climat – un contraste entre les chaudes lumières méditerranéennes de ses versants méridionaux et les brumes océaniques de ses plateaux. Une différence saisissante qui se ressent lorsque nous quittons les hêtraies et les vasques pour l’immense plateau au-dessus de la Fage. On y trouve un vieux moulin à eau où l’on fabriquait autrefois de la farine de châtaigne.

L’horizon s’ouvre. On chemine sur le point culminant du Caroux à 1091 mètres, entre les genêts, les callunes et la bruyère cendrée, dans des tons de jaune, de violet et de rose. Sur le plateau, le vent glacial se lève, emportant avec lui l’odeur sucrée et entêtante du genêt. Un paysage de maquis avant de retrouver la douceur de la tourbière de la Lande où l’on contemple des droseras, curieuse plante carnivore se nourrissant de petits insectes, et le roc de Micouyo, l’une des vues les plus émouvantes sur la mer. La Méditerranée est là juste devant nous. On pourrait presque sentir ses effluves salés. Nous retrouvons ce panorama unique le lendemain, en arpentant les hauteurs du village de Douch sur le sentier du Vialais. Une merveille. Au col de l’Ayrolle, on surprend nos premiers mouflons de la journée et l’on scrute les gorges vertigineuses d’Héric en appréciant le travail de l’érosion et du temps. Un enchevêtrement de plis et d’aiguilles, terrain de jeu et d’entraînement pour les alpinistes depuis les années 1930. Le plus célèbre d’entre eux, le docteur Marc-Antonin Azéma, très attaché à cette montagne, en a exploré tous les versants et les ravins. Avec Georges Fraissinet, ils ont ouvert les plus belles voies du massif, dotés de l’équipement le plus rudimentaire – corde de chanvre et pitons. On chemine ensuite avec légèreté sur une crête jusqu’au col de l’Ourtigas, dans un paysage pelé, minéral, avec les monts de l’Espinouse et la mer pour horizon. On distingue parfaitement Sète et le mont Saint-Clair. La nuit, c’est encore plus poignant. On se rapproche du royaume des mouflons et des animaux sauvages, dérobant un peu de la beauté du monde en catimini.

La suite de notre randonnée se prolonge sous une hêtraie, dans une tout autre ambiance, plus intrigante, plus féerique, plus sombre aussi, avant de passer au pont Romain et au hameau du Vialais, dont il reste quelques vieilles pierres. Des pierres sauvages comme il en existe tant au Caroux. Nombre d’entre elles sont devenues un paradis pour les grimpeurs, sans pour autant être apprivoisées. Car il ne faut jamais oublier que « ça bartasse ici ! » (« c’est en broussaille » en occitan) ainsi que l’explique Julien Delaumone, alors que nous marchons dans les ronces et les fougères sur un sentier escarpé pour rejoindre le col des Jonquilles et la tour Carrée du village de Colombières. La montagne de lumière se prête au jeu du randonneur mais n’est pas si débonnaire. Elle reste sauvage, énigmatique, à l’image du temps passé dans ses paysages rugueux et secrets.

Bénédicte Boucays.

Notre journaliste a organisé son voyage avec l’aide de l’Office du tourisme du Minervois au Caroux.